La législation encadrant les assemblées générales de copropriété connaît une évolution significative depuis la loi ELAN et ses décrets d’application. Ces modifications touchent tant la préparation que le déroulement des assemblées, avec une digitalisation accrue des procédures. La crise sanitaire a par ailleurs accéléré l’adoption de nouveaux formats de réunion, désormais ancrés dans le paysage juridique. Face à ces transformations, les syndics, copropriétaires et conseils syndicaux doivent s’adapter à un cadre normatif renouvelé qui redéfinit les modalités de gouvernance collective des immeubles en copropriété.
Modernisation des modalités de convocation et de tenue des assemblées
La dématérialisation constitue l’un des axes majeurs de la réforme des assemblées de copropriété. Depuis le décret n°2019-650 du 27 juin 2019, les convocations peuvent être transmises par voie électronique, sous réserve de l’accord préalable et écrit des copropriétaires. Cette évolution représente une simplification administrative considérable tout en générant des économies sur les frais d’affranchissement.
Le délai de convocation demeure fixé à 21 jours avant la tenue de l’assemblée, mais la réforme a clarifié les modalités de décompte de ce délai. La computation s’effectue désormais de date à date, sans tenir compte du jour de la notification ni de celui de l’assemblée, offrant ainsi une plus grande sécurité juridique aux syndics.
La tenue des assemblées a connu une mutation profonde avec la légalisation définitive des assemblées à distance. L’article 17-1 A de la loi du 10 juillet 1965, modifié par l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020, puis pérennisé, autorise la participation des copropriétaires par visioconférence ou tout autre moyen de communication électronique. Cette disposition, initialement introduite comme mesure exceptionnelle durant la crise sanitaire, est devenue une option permanente.
Le recours à ces technologies implique néanmoins des garanties techniques spécifiques. Le décret n°2020-834 du 2 juillet 2020 précise que les moyens techniques employés doivent permettre l’identification des participants et garantir leur participation effective. La jurisprudence récente (CA Paris, Pôle 4, chambre 2, 4 mai 2022, n° 20/08308) a confirmé la validité des votes émis par voie électronique, sous réserve du respect de ces conditions.
La réforme a parallèlement assoupli les règles relatives au lieu de réunion de l’assemblée générale. Désormais, celle-ci peut se tenir en dehors de la commune où est situé l’immeuble, facilitant ainsi l’organisation de réunions dans des espaces adaptés, notamment pour les grandes copropriétés.
Évolution des règles de représentation et de participation
La représentation des copropriétaires absents a fait l’objet d’une refonte substantielle. Le nombre maximal de délégations de vote par mandataire a été modifié par la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018. Désormais, un mandataire peut recevoir plus de trois délégations de vote si le total des voix dont il dispose (les siennes et celles de ses mandants) n’excède pas 10% des voix du syndicat des copropriétaires.
Cette règle, dont l’objectif est de prévenir la concentration excessive des pouvoirs, s’applique différemment selon la taille de la copropriété. Pour les petites structures, elle permet une plus grande souplesse, tandis que pour les grands ensembles, elle garantit une meilleure répartition des pouvoirs décisionnels.
La validité des mandats a été précisée par le décret n°2020-834. Un mandat peut désormais être transmis par voie électronique au syndic avant l’assemblée générale. Cette dématérialisation facilite la gestion des pouvoirs et réduit les risques de contestation liés à la remise tardive des documents.
La participation des locataires aux assemblées générales a été renforcée dans certaines circonstances. Lorsque l’ordre du jour porte sur des travaux d’économie d’énergie ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les locataires peuvent être consultés, conformément à l’article 24-9 de la loi du 10 juillet 1965. Cette consultation, bien que non contraignante, permet d’intégrer les préoccupations des occupants non-propriétaires dans le processus décisionnel.
Le quorum nécessaire à la validité des délibérations n’a pas été modifié (majorité des voix de tous les copropriétaires pour les décisions relevant de l’article 25), mais la procédure de seconde lecture a été simplifiée. L’article 25-1 permet désormais de procéder immédiatement à un second vote à la majorité simple de l’article 24 lorsqu’un projet a recueilli au moins le tiers des voix de tous les copropriétaires, sans nécessiter la convocation d’une nouvelle assemblée.
Ces modifications visent à fluidifier le processus décisionnel tout en préservant l’équilibre entre la nécessité d’obtenir un consensus suffisant et celle d’éviter les blocages dus à l’absentéisme.
Transformation des modalités de vote et de prise de décision
Les seuils de majorité requis pour l’adoption des résolutions ont subi des ajustements notables. La loi ELAN a transféré certaines décisions de l’article 26 (majorité des deux tiers des voix) vers l’article 25 (majorité absolue des voix), facilitant ainsi l’adoption de résolutions concernant notamment l’installation d’infrastructures de recharge pour véhicules électriques ou l’installation de la fibre optique.
Le vote par correspondance, introduit par la loi ELAN, constitue une innovation majeure. Selon l’article 17-1 A de la loi du 10 juillet 1965, tout copropriétaire peut désormais voter par correspondance avant la tenue de l’assemblée générale, au moyen d’un formulaire établi conformément à un modèle fixé par arrêté. Ce formulaire doit être reçu par le syndic au plus tard trois jours avant la date de l’assemblée.
Cette modalité de vote présente plusieurs avantages : elle permet aux copropriétaires ne pouvant assister à l’assemblée d’exprimer leur avis sur chaque résolution, elle réduit le recours aux pouvoirs en blanc, et elle facilite l’atteinte du quorum. Toutefois, elle soulève des questions pratiques concernant la prise en compte d’amendements présentés en séance, le votant par correspondance ne pouvant adapter son vote en fonction des débats.
La visioconférence et les moyens de communication électronique transforment la dynamique des débats et des votes. Le décret n°2020-834 impose que le dispositif technique utilisé permette l’identification des votants et garantisse la sincérité du scrutin. En pratique, les syndics recourent à des plateformes spécialisées intégrant des fonctionnalités de vote sécurisé, avec horodatage et conservation des preuves de vote.
La jurisprudence commence à se constituer sur ces nouvelles modalités. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris (4e ch., 15 septembre 2021) a validé une assemblée tenue exclusivement par visioconférence, considérant que les conditions techniques garantissaient l’identification des participants et la fiabilité des votes.
Ces évolutions s’accompagnent d’une modification profonde du déroulement des assemblées, avec un temps accru consacré aux questions techniques et une moindre place pour les échanges informels qui constituaient pourtant un aspect essentiel de la vie collective en copropriété. Ce phénomène soulève des interrogations sur la qualité de la délibération collective dans ce nouveau cadre.
Renforcement des obligations d’information et de transparence
Les exigences en matière de communication préalable des documents ont été précisées. L’article 11 du décret du 17 mars 1967, modifié par le décret n°2019-650, détaille la liste des documents devant être joints à la convocation, incluant notamment le projet de contrat de syndic lorsque son renouvellement est à l’ordre du jour, ou encore les projets de travaux accompagnés de leurs devis.
La dématérialisation de cette communication est désormais encadrée. Les documents peuvent être mis à disposition des copropriétaires sur un espace en ligne sécurisé, sous réserve que les modalités d’accès soient clairement précisées dans la convocation. Cette évolution numérique facilite l’accès aux informations tout en réduisant les coûts de reproduction et d’envoi.
La tenue d’une feuille de présence demeure obligatoire, y compris pour les assemblées dématérialisées. Le décret n°2020-834 précise que cette feuille doit mentionner les copropriétaires participant par visioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique, ainsi que ceux ayant voté par correspondance.
Le procès-verbal d’assemblée générale voit son importance renforcée dans ce contexte de diversification des modalités de participation. Il doit désormais mentionner les modalités selon lesquelles chaque copropriétaire a participé à l’assemblée et exprimé son vote. Cette exigence vise à sécuriser juridiquement les décisions prises et à limiter les contestations ultérieures.
La notification des décisions de l’assemblée générale aux copropriétaires absents et opposants peut désormais s’effectuer par voie électronique, sous réserve de leur accord préalable. Le délai de contestation de deux mois court à compter de cette notification, conformément à l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965.
Ces obligations renforcées s’inscrivent dans une logique de protection des droits des copropriétaires et de sécurisation des décisions collectives. Elles impliquent une rigueur accrue dans la préparation et le suivi des assemblées, avec un risque contentieux plus élevé en cas de manquement.
La jurisprudence récente (Cass. 3e civ., 4 novembre 2021, n° 20-18.884) confirme l’importance de ces formalités, en rappelant qu’un défaut d’information préalable suffisante peut justifier l’annulation des résolutions concernées.
Adaptation des pratiques face aux défis juridiques émergents
L’intégration des nouvelles technologies dans la gouvernance des copropriétés soulève des enjeux juridiques inédits. La protection des données personnelles, encadrée par le RGPD, s’impose comme une préoccupation majeure. Les plateformes utilisées pour les votes électroniques et la tenue d’assemblées virtuelles doivent garantir la confidentialité des informations échangées et obtenir le consentement explicite des copropriétaires pour le traitement de leurs données.
La fracture numérique constitue un défi pour l’application équitable de ces réformes. Selon l’INSEE, environ 17% des Français demeurent éloignés du numérique. Cette situation crée un risque d’exclusion de certains copropriétaires, notamment les plus âgés, du processus décisionnel. La jurisprudence commence à se saisir de cette question, comme l’illustre un jugement du TGI de Paris (14 mars 2022) qui a annulé une assemblée générale tenue exclusivement par visioconférence sans proposition d’alternative pour les copropriétaires non équipés.
Le formalisme des assemblées générales hybrides (présentiel et distanciel) nécessite une vigilance particulière. La coexistence de différentes modalités de participation complexifie l’organisation et le déroulement des réunions. Le syndic doit veiller à l’égalité de traitement entre les participants, quelle que soit leur mode de participation, et s’assurer de la fiabilité des systèmes techniques utilisés.
La contestation des décisions d’assemblée générale s’adapte à ce nouveau contexte. Les motifs traditionnels d’annulation (non-respect des règles de convocation, défaut d’information préalable) s’enrichissent de nouveaux fondements liés aux technologies employées : défaillance technique empêchant la participation effective, identification insuffisante des votants à distance, ou encore impossibilité d’accéder aux documents dématérialisés.
Face à ces défis, les pratiques professionnelles évoluent. Les formations destinées aux syndics intègrent désormais un volet numérique conséquent. Des certifications spécifiques pour les plateformes de vote électronique émergent, garantissant leur conformité aux exigences légales.
Le législateur poursuit son travail d’adaptation du cadre normatif. Un projet de décret actuellement en préparation vise à préciser davantage les conditions techniques requises pour la tenue d’assemblées dématérialisées et à renforcer les garanties offertes aux copropriétaires dans ce contexte numérique.
- Adoption de procédures internes au sein des cabinets de syndics pour sécuriser le traitement des données
- Développement d’une offre d’accompagnement pour les copropriétaires éloignés du numérique
Ces évolutions témoignent d’une transition juridique majeure dans la gouvernance des copropriétés, conjuguant modernisation des pratiques et préservation des principes fondamentaux du droit de la copropriété. L’équilibre entre innovation technologique et protection des droits individuels constitue le principal défi pour les années à venir.
